EN PRIVÉ

Les banques centrales resteront au centre du jeu en 2021

En 2020, les marchés financiers auront évité le pire. Si la perspective de sortie de la pandémie dope les espoirs des investisseurs pour les prochains mois, les marchés ont pu une fois de plus s’appuyer sur les banques centrales pour traverser cette crise sanitaire et économique inédite.

Le 10 décembre 2020, Christine Lagarde a dévoilé une batterie de mesures destinées à soutenir l’économie de la zone euro alors que la seconde vague de la pandémie frappe durement l’Europe. Parmi elles, le programme d’achats d’urgence, le Pandemic emergency purchase programme (PEPP) est augmenté de 500 milliards à 1 850 milliards d’euros et sera prolongé jusqu’en mars 2022. Les banques sont également conviées à octroyer plus de crédits aux entreprises grâce au programme TLTRO 3 (Targeted longer-term refinancing operation) destiné à faciliter leur refinancement au taux préférentiel de -1 %, jusqu’en juin 2022.

L’institution de Francfort apparaît, plus que jamais, comme le soutien indispensable des politiques budgétaires et du système financier en général en empêchant par ces initiatives toute envolée des taux longs qui rendrait problématique l’émission de nouvelles dettes par les agents économiques, à commencer par les États. En 2020, la France a refinancé sa dette au taux moyen négatif de -0,14 % et elle doit principalement ce taux ultra-avantageux à l’action de la Banque centrale européenne (BCE) ! Un interventionnisme qui a permis aux gouvernements des différents pays de l’UE de lancer des plans de relance massifs. En France, ce dernier atteint 100 milliards d’euros, portant l’endettement public à des niveaux records. Au niveau européen, le plan de relance ambitieux de 750 milliards d’euros, proposé fin mai 2020, a abouti pour la première fois à l’émission d’une dette mutualisée. Mais sans les plans d’achat d’actifs de la BCE, tous les efforts des dirigeants européens auraient été largement compromis.

La BCE a en effet dépassé depuis longtemps la simple mission qui lui était dévolue lors de sa création en 1998 : veiller à la stabilité des prix. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts du Main, le fleuve qui traverse Francfort et passe non loin de la Skytower, le siège ultra-moderne de la BCE. Au fil des ans, l’institution fédérale, qui dirige la politique monétaire des 19 États de l’Union européenne ayant adopté la monnaie unique et supervise également depuis 2014 les banques de la zone euro, a déployé des mesures dites « non conventionnelles » pour endiguer les chocs économiques successifs s’abattant sur le Vieux Continent. En 2015, la BCE a lancé son premier programme d’assouplissement quantitatif, appelé par les financiers : Quantitative easing (QE). Un programme d’achat d’actifs destiné à enrayer le risque de déflation (baisse générale et continue des prix et des salaires) et qui passait par l’acquisition mensuelle de dizaines de milliards d’euros d’obligations sur les marchés. Ces achats contribuent en effet à baisser les taux d’intérêt acquittés par les emprunteurs (États et entreprises privées les mieux notées). Ainsi, ces derniers sont incités à s’endetter à moindre frais et donc à investir. Un cocktail de choc pour stimuler l’économie alors que les taux directeurs sont déjà au plancher et n’offrent plus de marges de manœuvre aux banquiers centraux.

Ce soutien massif de refinancement des États et des grandes entreprises n’allait pourtant pas de soi. Attachés viscéralement aux règles initiales ayant conduit à la création de la BCE, les banquiers centraux allemands, pour qui l’inflation représente le mal suprême depuis la crise de 1923, ont éprouvé bien des difficultés à laisser Mario Draghi, le prédécesseur de Christine Lagarde, mener ces politiques non conventionnelles jugées potentiellement inflationnistes. Ils ont pourtant laissé faire, tant les instruments classiques de politique monétaire ne suffisaient plus à restaurer la crédibilité de la zone euro ébranlée dès 2011 par la crise de solvabilité de la Grèce. En 2011-2012, le risque de contagion aux autres pays d’Europe du sud (Portugal, Italie, Espagne, etc.) laissait même craindre un éclatement de la zone euro. C’est en juillet 2012 que Mario Draghi décide finalement de siffler la fin de la partie. En prononçant son fameux « whatever it takes », le banquier central italien parvient enfin à rassurer les investisseurs. Il y a bien un pilote dans l’avion de la zone euro : le président de la BCE. Par cette déclaration, « Super Mario » hisse la BCE au rang de « prêteur en dernier ressort » des États de la zone euro.

Les marchés « accrocs » aux annonces des banques centrales ?

Moins d’une décennie plus tard, les investisseurs donnent l’impression d’en demander toujours plus aux banques centrales. Les marchés seraient-ils sous accoutumance ? La moindre déclaration d’un président de banque centrale est scrutée avec une attention toute particulière. Gare au moindre faux pas, à la déclaration en dessous des attentes du consensus !
La communication ultra-calibrée des banquiers centraux n’empêche pourtant pas les ratés. Jeudi 12 mars 2020, alors que la crise du Covid-19 déferle sur l’Europe, les indices boursiers ont déjà sombré dans un krach d’une ampleur inégalée et ce jour-là, Christine Lagarde, en fonction depuis le 1er novembre 2019, dévoile un arsenal de mesures techniques destinées à faciliter l’octroi de crédit aux entreprises. Pourtant, au cours de la conférence de presse, elle déclare que « la BCE n’est pas là pour resserrer le spread ». Une « fragmentation » de la zone euro serait donc à nouveau possible, huit ans après le « whatever it takes » ? Il n’en faut pas moins pour provoquer un nouvel accès de panique sur les marchés. La Bourse de Milan connaît une chute historique de 16,92 % dans la foulée, alors même que l’Italie est frappée de plein fouet par la première vague de la pandémie. Les dirigeants européens ne se priveront pas de critiquer ouvertement la nouvelle présidente de la BCE. Un banquier central n’a pas le droit à l’erreur, surtout en période de tempête !

Les tensions entre dirigeants politiques et banquiers centraux ne sont pas rares. Outre-Atlantique, Donald Trump s’était fait une spécialité, tout au long de son mandat, de critiquer Jerome Powell, le président de la Reserve Federal (Fed), lui imputant les difficultés économiques des États-Unis alors même que la Fed dispose d’un mandat clair pour parvenir au plein-emploi autant qu’à maîtriser les prix. Ici aussi, l’histoire explique bien des choses : en 1929, la Reserve Federal, dont la création ne remontait qu’à 1913, n’était pas intervenue pour soutenir les marchés après le krach d’octobre et l’économie américaine avait plongé dans la plus grave crise de son histoire.

Des décennies plus tard, le krach d’octobre 1987 permettra à la Fed d’affirmer son rôle de fournisseur de liquidités en cas de forte tension à Wall Street. Mais il faudra attendre la crise des subprimes de 2008 pour voir la Fed se lancer dans des programmes d’achat d’actifs, les fameux QE. Une initiative lancée en fait, dès le début des années 2000, par la Banque centrale japonaise (BoJ) pour tenter de sortir le pays d’une spirale déflationniste endémique en jouant directement sur le niveau des taux longs. Vingt ans plus tard, la BoJ détiendrait l’équivalent de 6 % du marché des actions japonaises ! Aux États-Unis, les trois programmes de quantitative easing (QE 1, 2 et 3) de la Fed s’étaleront, quant à eux, de 2008 à 2014. Des programmes qui auront permis à l’économie américaine de sortir d’une crise sans précédent dont le point d’orgue sera la faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008.

En 2020, la Fed est également massivement intervenue pour soutenir les marchés mais aussi les entreprises de taille moyenne en leur prêtant directement de l’argent (à partir de 100 000 dollars !). Son bilan, comme celui de la BCE, a bondi dans des proportions totalement inédites. En l’absence de tensions inflationnistes majeures, « l’argent magique » des banques centrales est ainsi devenu un carburant essentiel pour animer les Bourses mondiales… et empêcher l’asphyxie de l’économie réelle. Il le restera vraisemblablement tout au long de l’année 2021.

Julien Gautier, consultant éditorial (Agence Fargo)