EN PRIVÉ
L’État actionnaire : un acteur de poids du CAC 40 bien décidé à le rester
Parmi les 83 participations de l’État regroupées au sein de l’Agence des Participations de l’État (APE), 11 d’entre elles sont cotées en Bourse. L’État actionnaire est donc amené à suivre de près l’évolution de son portefeuille en faisant évoluer ses participations au gré de ses intérêts. Une présence au capital qui n’est pas sans conséquences sur la gestion des entreprises en question.
En France, tout passe par l’État… ou presque. Même si le nombre d’entreprises nationalisées a fortement reculé depuis la première vague de privatisations en 1986, l’État reste en 2021 un acteur incontournable de la vie économique (voir les annonces récentes sur la filière hydrogène) ainsi qu’un actionnaire de taille (majoritaire ou non) de quelques fleurons du CAC 40 et d’entreprises de taille plus modeste, certaines cotées, d’autres non. Et Bercy n’est pas décidé, peut-être moins qu’à d’autres époques, à se désengager à tout va alors que la crise sanitaire a mis en lumière la vulnérabilité du tissu industriel français. « Le rôle de l’État est de protéger un certain nombre de secteurs stratégiques, c’est un impératif de souveraineté économique pour notre pays » l’explique sans ambages Bruno Le Maire. Dès son arrivée à l’Élysée en mai 2017, Emmanuel Macron, venu de la banque Rothschild avant d’être nommé ministre de l’économie en août 2014, avait estimé que l’État devait jouer davantage son rôle d’actionnaire agile au service des intérêts industriels du pays ainsi qu’en fonction des besoins de trésorerie de cet État.
Les participations publiques sont gérées au sein de l’APE (l’Agence des participations de l’État) sans oublier Bpifrance, la banque publique d’investissement, devenu un acteur de référence en matière de stratégie publique grâce à ses participations minoritaires dans de nombreuses entreprises. Rappelons que l’État est actionnaire à 50 % de Bpifrance avec la Caisse des dépôts. Concernant les participations directes de l’État au sein de l’APE, elles sont au nombre de 83 et parmi elles, 11 entreprises sont cotées en Bourse1.
Au 30 juin 2021, la valeur boursière du portefeuille de l’État ressortait à 70,3 milliards d’euros. Entre le 30 juin 2020 et le 30 juin 2021, celle-ci a progressé de 34,4 % contre +31,8 % pour le CAC 40. En revanche, ce même portefeuille a subi fortement le trou d’air du premier semestre 2020 : -30,0 % contre -17,5 % pour l’indice parisien. En effet, le portefeuille boursier de l’APE est très lié aux secteurs de l’énergie (53,4 % de la capitalisation), de l’aéronautique/défense (27,9 %) ou encore du transport et des infrastructures (8,9 %), secteurs qui ont été fortement touchés par la crise mais qui ont pu profiter, dans la seconde partie de l’année, d’une rotation sectorielle des investisseurs à leur avantage. Au deuxième semestre 2020, le portefeuille public a ainsi bondi de 35 % contre +12,5 % pour le CAC 40.
EDF : des investissements considérables en perspective
Première capitalisation publique (et de très loin !), la part de l’État au capital d’EDF (83,7 %) est évaluée, au 30 juin 2021, à près de 30,5 milliards d’euros (sur un total de 124,8 milliards d’euros pour l’ensemble des participations de l’APE). Il est vrai que l’énergéticien historique doit assumer des investissements considérables. En septembre 2020, l’APE a ainsi souscrit à une émission d’Oceanes (obligations convertibles) à hauteur de 1,03 milliard d’euros. Pour répondre aux besoins énergétiques futurs du pays tout en préparant la transition vers la neutralité carbone à horizon 2050, Emmanuel Macron a annoncé, mardi 9 novembre, la relance du programme nucléaire français. EDF estime que le coût des six futurs EPR pourrait ressortir à 46 milliards d’euros alors que le groupe français est déjà très endetté. L’État est également actionnaire d’Engie à hauteur
de 23,6 %.
L’État, actionnaire essentiel de la filière aéronautique
Ce même État-actionnaire a toujours regardé vers le ciel. À l’instar de l’énergie, l’aéronautique incarne en effet le secteur industriel stratégique par excellence. Alors que les mesures de confinement ont mis l’activité des compagnies aériennes à l’arrêt, l’État français est notamment intervenu en renflouant Air France-KLM à hauteur de 3 milliards d’euros en quasi fonds propres (montant à 28,6 % du capital) ainsi qu’en participant à l’augmentation de capital d’un milliard d’euros validée par la compagnie à hauteur de 593 millions d’euros. L’APE possède également 10,9 % du capital d’Airbus et 50,6 % d’Aéroports de Paris (ADP).
Du côté des équipementiers aéronautiques, l’État reste actionnaire de Thalès à hauteur de 25,7 %. Le spécialiste de l’électronique de défense vend des technologies sensibles pour la souveraineté nationale. La participation dans Safran est plus faible (11,2 %) mais le groupe, issu de la fusion du motoriste Snecma et de l’électronicien Sagem, compte parmi les fleurons de l’industrie aéronautique française.
Dans le secteur des télécoms, l’État conserve de l’influence. Alors ministre de l’économie, Emmanuel Macron n’avait pas hésité à s’opposer au rapprochement entre Orange et Bouygues Telecom, début avril 2016, car Martin Bouygues souhaitait entrer dans le capital de l’opérateur historique mais les conditions posées par Bercy, jugées trop contraignantes, firent échouer le mariage. À ce jour, l’APE contrôle encore 13,4 % du capital d’Orange, part à laquelle il faut ajouter les 9,6 % détenus par la BPI.
Des participations profitables : l’exemple de PSA en 2014-2017
Enfin, l’APE détient toujours 15 % du capital de Renault, ancienne Régie nationale et symbole de l’industrie française nationalisée des Trente Glorieuses. Dans le secteur automobile, c’est pourtant l’incursion de l’État dans le capital de PSA (Peugeot Citroën) qui a marqué les esprits au cours des dernières années. Arrivé en 2014 dans le capital du constructeur français à hauteur de 12,7 % (aux côtés de la famille Peugeot et du groupe chinois Dongfeng), l’État avait alors injecté 800 millions pour renflouer PSA, alors mal en point, avant de revendre sa participation à Bpifrance, en mars 2017, pour 1,92 milliard d’euros. Une opération profitable qui a permis à l’APE de réaliser une plus-value de 1,12 milliard d’euros et de remettre PSA sur les rails.
En décembre 2019, le groupe français annonçait son rapprochement avec FCA (Fiat Chrysler), donnant ainsi naissance, début 2021, à Stellantis, quatrième groupe automobile mondial. Or, FCA avait au printemps 2019 entamé des négociations avec Renault. Mais les problèmes de gouvernance de la marque au losange, en partie liés à l’ingérence de l’État dans la stratégie du constructeur français et de l’Alliance Renault-Nissan, ont eu
raison de la volonté de FCA de donner suite aux négociations. Une aubaine pour PSA qui a finalement remporté le morceau !
2020 : l’État actionnaire montre l’exemple
Pour les entreprises qui comptent l’État à leur capital, la mainmise de la puissance publique dans leur gestion n’est pas, en effet, sans conséquences. Si l’État apporte de la stabilité à long terme, en décourageant les tentatives d’OPA et les intrusions d’investisseurs non désirés, il peut aussi créer des situations de blocage qui peuvent dissuader l’arrivée d’un partenaire industriel potentiellement bénéfique à long terme. Par ailleurs, l’État
est aussi tenu de donner l’exemple en matière de distribution de dividendes.
En 2020, Bercy a demandé d’annuler une grande partie des dividendes qui devaient être versés au titre de l’année 2019. À l’exception de FDJ (Française des Jeux) Orange et Thales, les entreprises du portefeuille de l’APE ont annulé leur versement de dividende. Les coupons reçus par l’État au titre de son portefeuille coté ont fondu à 200 millions d’euros contre 1,8 milliard d’euros un an plus tôt. Pour l’actionnaire individuel, la présence de l’État au capital peut constituer une protection, notamment en cas de difficulté majeure rencontrée par l’entreprise. Il ne va pas logiquement sans contrepartie.
Julien Gautier, Consultant éditorial, Agence Fargo 18 novembre 2021