EN PRIVÉ
Les experts décryptent les marchés
Comment qualifierez-vous le type de trading que vous pratiquez ?
Dorian Abadie : Nous pratiquons un trading à la croisée de l’analyse fondamentale et technique. Par exemple, si les prévisions de résultats d’une entreprise sont excellentes et que nous détectons une configuration d’achat sur son graphique, nous en profitons pour acheter le titre. Notre stratégie est facile
à aborder car nous ne croyons pas aux approches alambiquées… Trop de complexité tue la performance ; nous prônons une approche simple. Le plus important étant de bien comprendre la stratégie mise en place et de la suivre dans le temps.
Nos analyses graphiques sont épurées et compréhensibles par le plus grand nombre. Souvent, les investisseurs néophytes perdent beaucoup de temps et d’énergie sur des approches complexes.
En plus de nos portefeuilles d’actions à long terme, nous proposons des conseils de gestion active avec des stratégies d’investissement plus spéculatives pour rechercher de la performance à court terme avec des produits à effet de levier.
Marc Dagher : Le trading que je pratique est un trading que je qualifierais d’assez agressif. Sur l’échelle classique du risque/rendement (inhérente à tout type d’investissement) en effet, les produits sur lesquels j’interviens (turbos, warrants…) présentent un risque évident mais offrent en contrepartie un très bon potentiel de gain, s’ils sont bien maîtrisés. Quant au « timing », je suis essentiellement sur ce qu’on appelle du « swing », c’est-à-dire des lignes qui durent de quelques jours à quelques semaines.
Franck Morel : Parler d’investissement serait plus approprié puisque chez Zonebourse, nous gérons nos portefeuilles dans une optique d’investissement à moyen/long terme. Nos décisions reposent essentiellement sur l’appréciation des fondamentaux des sociétés. Pour cela, nous pouvons compter sur la puissance de nos serveurs et de nos bases de données puisque nous classons quotidiennement plus de 30 000 sociétés cotées dans le monde selon des critères fondamentaux et techniques. Ces filtres quantitatifs nous permettent d’identifier des valeurs solides afin de constituer des sélections capables de battre régulièrement les grands indices de référence.
Quel est votre souvenir le plus marquant en 2021 sur les marchés ?
Dorian Abadie : Clairement, le caractère historique de la hausse des marchés actions. Historique et au-delà de tous les pronostics des analystes et du consensus de marché, alors que la visibilité était très limitée en pleine pandémie, surtout en début d’année. L’action commune des banques centrales et des États, sans limite, a soutenu la hausse des marchés actions dans des proportions inimaginables en période de crise. Le CAC 40 est l’un des indices boursiers qui a le plus performé au niveau mondial en 2021 : +31,1 %, dividendes inclus.
Marc Dagher : D’un point de vue strictement boursier, l’événement le plus marquant aura sans doute été dans la nuit du 25 au 26 novembre, alors que nous étions en plein Thanksgiving américain et en plein « Black Friday » (période en général assez calme de surcroît), le marché a subi une très forte déconvenue à la suite de l’annonce par l’OMS de la découverte d’un nouveau variant (i.e. Omicron) qui, à l’époque, semblait être bien plus inquiétant de ce qu’il semble être réellement.
Franck Morel : Incontestablement, la vigueur des marchés actions avec les records signés par les indices à travers le monde. Moins de deux ans après le début de la pandémie, un événement qui a complètement bouleversé nos habitudes, la plupart des marchés sont au zénith. Malgré les désorganisations dans les chaînes de production, les tensions géopolitiques, les changements d’habitude et les secteurs toujours lourdement grevés par le Covid-19. Peu de personnes auraient misé là-dessus en mars 2020, nous en faisons partie et sommes très satisfaits de cela.
Les banques centrales et les États ont mis en place les conditions nécessaires à la poursuite de l’activité des uns et à la survie des autres. De quoi continuer à entretenir le lien complexe et paradoxal entre le capitalisme financier et l’interventionnisme public. Il faut aussi noter qu’il y a toujours une exception qui confirme la règle : face aux croissances à deux chiffres des indices occidentaux en 2021, le marché asiatique emblématique hors-Japon et Hong Kong, a perdu 14,2 %.
Quel serait l’événement du début d’année le plus à même de provoquer de forts mouvements de marché ?
Dorian Abadie : Certainement le premier des (quatre ?) relèvements de taux américains, en mars. C’est un événement assez prévisible et attendu par les investisseurs mais il témoigne tout de même d’un changement de paradigme et d’une volonté de lutter contre une inflation plus forte et plus durable qu’anticipé par les banques centrales. Une autre épée de Damoclès est l’émergence de nouveaux variants mais pour l’heure, le caractère relativement bénin d’Omicron rassure les investisseurs et nous sommes également optimistes quant à la réouverture progressive de nos économies. On l’a vu ces derniers mois, la géopolitique est également un facteur de déstabilisation majeur. Elle peut se révéler très instable et particulièrement imprévisible, comme au Kazakhstan (puissance énergétique méconnue). Relèvements des taux, inflation, situations sanitaire et géopolitique, voilà les principaux sujets et sources de volatilité que nous surveillerons dans les mois à venir. Sans oublier les élections présidentielles françaises, bien qu’elles représentent une menace plus limitée dans le temps.
Marc Dagher : Nous avons déjà pu le constater, mais ce qui semble être le premier driver du marché en ce début d’année est la politique des banques centrales, et plus particulièrement la Fed, qui a provoqué de fortes prises de bénéfices, notamment sur les valeurs technologiques, en annonçant une reprise de hausse des taux plus agressive que prévue. En dehors des taux, donc, les drivers potentiels sont, selon moi : l’inflation, l’évolution de la crise sanitaire, le contexte géopolitique et l’avènement (ou pas) de la désormais fameuse cryptosphère.
Franck Morel : Sans aucun doute, le changement de politique monétaire aux États-Unis. Depuis la crise financière de 2008, les banques centrales sont au chevet des économies avec des taux bas et des mesures de soutien. Elles ont dû à nouveau jouer leur rôle amortisseur à cause de la pandémie. Mais la surchauffe économique, notamment visible à travers l’inflation, nécessite un changement de cap et le retour à des politiques de hausse de taux et de sobriété monétaire. Attention, cela ne signifie pas que les périodes de hausses de taux sont fatales aux marchés actions, si elles sont menées progressivement et n’aboutissent pas à des niveaux trop élevés. En revanche, cela provoque des changements d’allocations d’actifs et des rotations de stratégies. C’est incontestablement l’événement de ce début d’année, surtout si la Fed commence à donner un tour de vis dès le mois de mars. Il faut revenir sur les valeurs « Value » sans s’éloigner des sociétés de qualité mais probablement continuer de fuir les dossiers très fortement valorisés.
Quelles classes d’actifs pourraient performer/chuter cette année ?
Pour quelles raisons ?
Dorian Abadie : Avec le relèvement des taux et l’optimisme autour de la situation sanitaire, les actions technologiques et de la santé sont les plus menacées. En parallèle, les valeurs cycliques, notamment dans l’industrie, devraient profiter du regain d’espoir quant à la réouverture des économies. Nous traversons une rotation sectorielle depuis plusieurs mois, au profit de titres comme Airbus ou Saint-Gobain que nous apprécions particulièrement. Les valeurs liées aux matières premières (TotalEnergies, Eramet…) devraient être soutenues par l’inflation, essentiellement dans l’énergie et l’alimentation. Nous investissons également sur des secteurs en plein essor, comme la cybersécurité via le titre français Wallix ou les jeux vidéo avec Ubisoft.
Marc Dagher : C’est certainement LA question piège ! Les indices (et donc les actions en général) ont encore signé un très bon cru 2021, prenant de 15 à presque 30 % selon les pays. Tout le monde se demande, légitimement, jusqu’où ils pourraient encore monter ? Cela dit, si vous observez bien le marché, depuis la crise du subprime de 2007-2009, il est devenu extrêmement résilient : il a traversé le Brexit, Trump et, quelque part, même le Covid avec une résilience surprenante qui s’explique notamment par les QE (Quantitative Easing) des banques centrales, soit l’injection de liquidités régulière et conséquente. Je continuerai de privilégier les actions pour ma part, sans doute plus au cas par cas avec une approche sectorielle. Côté matières premières en effet, l’Or n’a rien fait en 2021 et reste techniquement très incertain, les autres métaux sont dans des situations encore tendues, le gaz naturel a fini par se calmer, même s’il garde un potentiel technique intéressant, et le pétrole quant à lui a tout de même pris près de 50 % sur le cru 2021.
Franck Morel : Malgré le rebond épidémique et les hausses des taux à venir de la Réserve Fédérale américaine, les marchés actions devraient poursuivre leur ascension cette année, portés par la bonne santé des entreprises puisque les analystes prévoient une nouvelle augmentation de leur bénéfice en 2022. Il conviendra évidemment de toujours favoriser les sociétés de qualité et de répartir ses investissements dans plusieurs pays et secteurs pour réduire le risque. À cet égard, la région Asie-Pacifique ne doit pas être oubliée, plus particulièrement les actions chinoises qui ont payé un lourd tribut en 2021 suite aux nombreux tours de vis réglementaires de Pékin et à la crise Evergrande. Par conséquent, les valeurs chinoises sont globalement bon marché, offrant à l’investisseur long terme une opportunité de s’exposer à l’économie chinoise, qui deviendra la première puissance mondiale devant les États-Unis d’ici la fin de la décennie.
Quels conseils méthodologiques donneriez-vous aux investisseurs débutants ?
Dorian Abadie : Principalement trois conseils. Le premier est de suivre au quotidien les actualités financières sur des médias de qualité. Privilégiez la qualité à la quantité, en termes d’informations et de sources. Le deuxième est d’apprendre à lire un graphique boursier pour détecter les meilleures configurations d’achat. Enfin, il est indispensable de bien connaître les grands critères fondamentaux et les ratios comme le PER ou l’EBITDA par exemple. Tout cela demande du temps et il nous paraît inutile de développer des approches trop complexes. Souvent, c’est la simplicité qui paie le plus sur les marchés.
Quelques recommandations de bon sens pour les plus débutants : il est inutile de multiplier les opérations sur son PEA ou son compte-titre. Mieux vaut se concentrer sur peu de titres mais que l’on connaît bien et que l’on suit attentivement. Il est également dangereux de s’exposer avec des effets de leviers trop importants ou des actifs trop volatils comme certains crypto actifs quand on débute sur les marchés.
Si on a peu de temps à consacrer à la Bourse, mieux vaut se faire accompagner par des professionnels. Même quand on est plus expérimenté, bien s’entourer est un facteur de réussite.
Marc Dagher : Tout d’abord, je leur rappellerais que la Bourse n’est pas un casino. Qu’il s’agit bel et bien avant tout d’un métier, et qu’il faut surtout ne pas la voir comme une poule aux œufs d’or (même si elle peut le devenir).
Un bon investisseur doit impérativement savoir : établir son plan de trading (mettre en place des niveaux d’entrée, objectifs et stop-loss de protection), ne pas se laisser dépasser par ses émotions et, naturellement, ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
Franck Morel : Faire preuve de bon sens et de simplicité. Plus concrètement, il est préférable de s’éloigner des dossiers complexes, spéculatifs, aux perspectives incertaines pour se concentrer sur des sociétés saines, qui se développent, gagnent de l’argent et aux niveaux de valorisation raisonnables au regard de leurs avantages. Cela revient à garder à l’esprit que l’appât du gain conduit souvent dans le ravin.
Propos recueillis par Léa Jézéquel
Société Générale Produits de Bourse, 18 janvier 2022