EN PRIVÉ
Tenir la pose malgré les incertitudes politiques
Focus économique
Europe. Les indicateurs avancés récents montrent une dynamique qui reste plus favorable en zone euro et au Royaume-Uni. L’activité s’est en effet avérée en léger rebond, bénéficiant notamment de la détente passée de l’inflation. Nous continuons de tabler sur la poursuite de cette amélioration, ne serait-ce que par effet mécanique. En effet, après la crise de l’énergie, les économies européennes ont clairement marqué le coup, notamment l’Allemagne dont l’industrie s’est retrouvée fortement pénalisée. La situation sur l’énergie étant bien normalisée, les économies devraient retrouver un rythme de croissance plus favorable. Ensuite, la détente attendue des taux d’intérêt des banques centrales devrait ajouter un peu de souffle. Notre scénario reste néanmoins celui d’une croissance seulement modérée. En parallèle, l’inflation poursuit sa décrue. Elle conserverait toutefois une certaine « viscosité » du fait du rattrapage en cours des salaires. La Banque d’Angleterre suivrait prochainement la BCE pour enclencher un cycle de baisses de taux. Ce cycle resterait progressif, étant donné la viscosité de l’inflation et le contexte plutôt favorable côté activité.
États-Unis. Les récents indicateurs d’activité ont envoyé des signaux très mitigés sur la période récente, compliquant la lecture de la conjoncture, avec certaines enquêtes semblant indiquer un ralentissement brutal et d’autres plutôt un risque de surchauffe. Sans surinterpréter ces à-coups, nous continuons de tabler sur un ralentissement progressif de l’activité, à un niveau toujours tout à fait favorable. En effet, la politique budgétaire reste très en soutien tandis que la demande privée bénéficie des bilans financiers globalement sains des ménages et des entreprises. La hausse marquée des marchés actions de ces derniers mois représente notamment un effet de richesse favorable pour les ménages qui détiennent une part significative de leur épargne en actions. L’activité américaine devrait néanmoins ralentir vers son rythme d’avant crise Covid (autour de 2 %), du fait du rééquilibrage en cours dans le marché du travail (en nombre d’emplois et salaires) et d’un soutien budgétaire moins positif. Sur l’inflation, le chiffre de mai va dans le sens de notre scénario d’une détente progressive, mais après plusieurs mauvaises « surprises », la Réserve fédérale restera prudente dans l’assouplissement de sa politique avec deux baisses attendues au deuxième semestre.
Marchés actions
Les marchés actions mondiaux ont de nouveau augmenté au cours du dernier mois, plusieurs indices touchant des niveaux records. Néanmoins, cette vitalité cache une certaine volatilité (mais moindre que sur les marchés obligataires) et des différences notables entre pays (indices américains et japonais en hausse, Europe et émergents en baisse).
États-Unis. Le marché actions américain a surperformé l’indice mondial de plus d’un point sur un mois (2,2 % contre 1 %), renforçant sa surperformance sur un an (+25 % contre +20 %). L’indice américain a néanmoins connu des soubresauts importants, liés en grande partie à l’évolution des perspectives de croissance économique. Compte tenu de notre scénario de ralentissement modéré de l’économie américaine, de repli progressif de l’inflation et de baisses de taux limitées, les marchés actions devraient continuer leur rallye. De plus, les résultats et les bilans des entreprises restent bien orientés – justifiant la prime observée sur les mesures de valorisations. Enfin, les indices de momentum demeurent favorables – bien que le sentiment de marché s’approche de niveaux historiquement élevés. Nous restons surexposés aux marchés actions américains.
Zone euro. Les actions européennes ont nettement baissé au cours du dernier mois, tiré à la baisse par les secteurs énergétique, financier et industriel. L’inflation un peu plus élevée qu’attendu en mai et le discours prudent de la BCE ont pesé sur les marchés. Les marchés français ont en plus souffert des nouvelles incertitudes politiques. Nous restons positifs sur les marchés de la zone euro pour plusieurs raisons. D’une part leurs niveaux de valorisation demeurent attractifs et les mesures de momentum et de sentiment restent bien orientés. D’autre part, le contexte de rebond – modéré – de l’activité et de baisses de taux – limitées – de la BCE devrait offrir un soutien important à ces marchés, via une poursuite du rebond de la croissance des bénéfices.
Japon. La performance du marché japonais est quasi-stable sur un mois, continuant de bénéficier de la bonne tenue des entreprises des secteurs technologique et de la communication. Par ailleurs, la fin de la déflation et la sortie progressive de la politique de taux zéro ont soutenu le secteur financier. Bien que ces facteurs devraient perdurer, la volatilité du yen et les incertitudes quant à la politique monétaire incitent à la prudence sur ce marché.
Marchés obligataires
États-Unis. Les taux souverains ont continué à afficher une forte volatilité au cours du dernier mois. En effet, le taux de Treasuries à 2 ans (indicateur du niveau de taux de la Fed dans un an) a oscillé entre 5 % et 4,65 % alors que le Treasuries à 10 ans a oscillé entre 4,2 % et 4,7 %. Cette volatilité illustre essentiellement les perspectives qui ont balancé entre un scénario de surchauffe et de ralentissement de l’économie américaine. Alors que les dernières données d’activité ont déçu les attentes, notamment sur la consommation des ménages, le marché du travail continue de surprendre le consensus et la désinflation reste lente. Dans ce contexte, la Fed devrait diminuer la fourchette de son taux directeur à 4,75 %-5 % d’ici la fin d’année, soit une baisse de 50pb par rapport à son niveau actuel.
Zone euro. Le taux allemand à 10 ans a perdu 10pb sur le mois. Cette baisse cache une forte volatilité, le taux oscillant entre 2,4 % et 2,7 %. À l’inverse, le taux de l’OAT a augmenté de 15 pb pour atteindre 3,1 %, mais avec un pic au-dessus de 3,3 % et un écart vis-à-vis de l’Allemagne de 70pb. Les primes de risque des économies périphériques se sont aussi légèrement écartées, l’écart de taux Italie/Allemagne augmentant de 130pb à 150pb. Ces mouvements s’expliquent en premier lieu par un discours plus restrictif qu’attendu de la part de la BCE. Si cette dernière a bien procédé à une première baisse de taux de 25pb de ses taux directeurs, réduisant le taux de dépôt à 3,75 %, la BCE a augmenté sa prévision d’inflation pour 2024 et 2025, et elle a maintenu un discours plus prudent qu’anticipé par les marchés. Deuxièmement, les résultats des élections européennes, et surtout la dissolution de l’Assemblée nationale en France, a augmenté le risque politique, avec une hausse de la probabilité de paralysie politique en France. Nous estimons que la BCE va continuer son cycle de baisse de taux, avec deux baisses supplémentaires en 2024, soutenant les taux souverains. Cependant, la volatilité risque d’être importante dans le court terme en fonction de l’évolution du contexte français.
Devises
EUR/USD. La devise européenne a enregistré une forte volatilité face au dollar au cours du dernier mois, s’échangeant dans une fourchette de 1,09 et 1,07 (passant légèrement en dessous de ce niveau sur la fin de période). Ces changements s’expliquent d’abord par les variations des Treasuries américains et le calendrier de baisse de taux de la Fed attendu par les marchés. Les variations les plus récentes proviennent de la hausse du risque politique en Europe suite aux élections européennes et la dissolution de l’Assemblée nationale en France. Une croissance plus forte aux États-Unis ainsi qu’un écart de taux d’intérêt plus important sont des facteurs de soutien pour le dollar. Par ailleurs, la hausse des tensions politiques pourrait se traduire par une volatilité plus importante, soutenant la devise américaine.
USD/JPY. Le yen s’est déprécié face au dollar, s’échangeant sur une parité moyenne de 157 par dollar. Globalement, la faiblesse du yen depuis 2022 correspond à l’écart important de taux d’intérêt entre le Japon et le reste des économies développées, avec la BoJ qui ne normalise sa politique que très progressivement (taux directeur à 0,1 %, suppression du plafond sur le taux JGB 10 ans). La BoJ devrait poursuivre sa politique de normalisation progressive, avec deux hausses de taux prévues dans la deuxième moitié de l’année.
EUR/CHF. L’euro a affiché une tendance baissière depuis un mois face au franc suisse, reculant de plus de 2 % pour atteindre une parité de 0,96. La montée des risques politiques en Europe devrait bénéficier à la devise suisse, d’autant plus dans un environnement de risques géopolitiques important. Enfin, le fort excédent courant de la Suisse couplé à une réduction des réserves de change de la SNB devrait aussi soutenir la devise suisse.
Matières premières
Le prix du Brent a été quasi-stable sur un mois, chutant d’abord à 76 $/baril pour rebondir au-dessus de 82 $/baril. Le cours a en effet baissé à la suite d’un accord de l’OPEP prévoyant un arrêt progressif d’une partie des restrictions de production à partir de septembre, dans un contexte de ralentissement de l’économie américaine. Finalement, la révision en hausse des perspectives de demande mondiale et les perspectives de baisses de taux d’intérêt de la Fed ont fait remonter le prix du pétrole. Le gaz naturel a progressé de 20 % sur le mois, à la suite de craintes sur l’approvisionnement européen en gaz russe.
L’Or a connu un mois tout aussi mouvementé pour finir en légère baisse de 3,5 % sur fond de l’allégement des tensions au Moyen Orient. Le métal est remonté après les bonnes données d’inflation aux États-Unis, ces dernières ayant ravivé les attentes de baisses de taux de la Fed au cours de l’année.
Clémentine Gallès
Chef Economiste et Stratégiste Société Générale Private Banking