EN PRIVÉ

Make Europe Investable Again

Les marchés actions européens démarrent l’année en nette progression. Cette embellie contraste avec l’incertitude politique globale et la fragilité de l’activité économique de la région. Elle s’explique par le retour d’investisseurs – notamment étrangers – qui avaient largement délaissés la région depuis le début de la guerre en Ukraine. Ils paraissent attirés par des valorisations attractives et l’anticipation de facteurs de soutiens qui pourraient perdurer.

Focus Économique
La Fed pourrait rester à l’arrêt plus longtemps

Un début d’année à l’image de 2024. Les divergences observées en termes de croissance économique en 2024 devraient se poursuivre, au moins durant la première moitié de 2025. Aux États-Unis, l’économie continuerait de bénéficier de fondamentaux solides (marges bénéficiaires des entreprises élevées, gains de productivité et bilans des ménages sains). En zone euro, après avoir flirté avec la récession fin 2024, la croissance resterait faiblement positive au premier semestre. Néanmoins, le repli de l’inflation et la baisse des taux directeurs devraient pousser les consommateurs à moins épargner. Enfin, en Chine, les difficultés du marché immobilier devraient perdurer, continuant de peser sur la consommation des ménages (l’immobilier étant le principal actif des ménages) et donc sur l’économie chinoise dans son ensemble.

Le deuxième semestre dépendra du curseur des politiques économiques. Après une année 2024 chargée sur le plan électoral, 2025 sera marquée du sceau des décisions de politique économique des nouveaux gouvernements. Le passage des promesses de campagne à leur mise en œuvre produit une grande incertitude à la fois sur la croissance et l’inflation des grandes zones économiques.

États-Unis : un risque de retour de l’inflation. Cette incertitude se retrouve surtout en provenance des États-Unis, avec des répercussions potentielles sur le reste du monde. Le timing, la portée géographique et l’ampleur des hausses de droits de douane américains restent inconnus, de même que pour la politique migratoire. Or, ces deux mesures peuvent potentiellement engendrer un regain d’inflation aux États-Unis (surtout compte tenu des tensions persistantes sur le marché du travail) mais aussi peser sur la croissance des pays ciblés et en retour sur la croissance américaine en cas de représailles.

Zone euro : politique budgétaire en question. En plus des incertitudes liées à la politique commerciale américaine et à la demande chinoise, l’incertitude sur la politique budgétaire plane sur l’économie de la zone euro. Les élections en Allemagne (23 février) pourraient aboutir soit à un moindre resserrement soit à un léger assouplissement, via une augmentation de l’investissement public. Enfin, la Commission Européenne pourrait proposer de nouveaux programmes européens pour faire face aux nouveaux défis (protectionnisme américain, compétitivité chinoise, guerre en Ukraine, intelligence artificielle, etc.).

Chine : de nouvelles annonces à venir. Les autorités chinoises se sont de nouveau engagées à agir de façon décisive pour relancer l’économie, en ciblant les marchés immobiliers, les actions et la consommation. Davantage de détails pourraient être communiqués début mars, mais les incertitudes restent élevées quant à la capacité de l’économie chinoise de nettement rebondir.

Banques centrales : sur des rythmes différents. Dans ce contexte, le cycle monétaire mondial semble également incertain. La Réserve fédérale pourrait rester plus longtemps attentiste, avec dorénavant seulement une baisse de taux anticipée à la fin de l’année, si les anticipations d’inflation se normalisent. La Banque Centrale Européenne (BCE) et la Banque d’Angleterre continueraient à détendre leur politique monétaire, avec 3 baisses de 25 bp attendues dans les prochains mois.

Marchés actions

Préférence pour les marchés actions développés

Malgré les incertitudes liées à la politique tarifaire de l’administration Trump, les marchés actions mondiaux ont connu une forte croissance depuis le début d’année (4,8 %). La croissance économique reste solide aux États-Unis et la saison des résultats signale une poursuite de la bonne tenue des bénéfices des entreprises américaines et une amélioration en Europe.

États-Unis
Le marché actions américain a légèrement sous-performé les autres marchés le mois dernier (et depuis fin 2024). Ceci peut s’expliquer par les incertitudes en termes de politique économique (droits de douane et Fed), les niveaux élevés de valorisation et une moins bonne performance des « 7 magnifiques ». Néanmoins, la solidité de la croissance économique et le niveau historiquement élevé des marges bénéficiaires devraient continuer de soutenir le marché actions. Les résultats des entreprises du 4e trimestre 2024 illustraient ce constat : des bénéfices supérieurs avec une croissance vigoureuse, et ce dans la plupart des secteurs. Les perspectives de baisses d’impôts sur les entreprises et de dérégulation pourraient également être en faveur du marché américain.

Zone euro
Les actions européennes ont été l’un des marchés stars de ce début d’année, progressant de près de 11 % depuis fin 2024, et ce malgré l’atonie persistante de la croissance économique. Plusieurs facteurs expliquent ce fort mouvement : tout d’abord, une valorisation attractive, après deux années de sous-performance, qui attire certains investisseurs ; ensuite, le cycle de baisse de taux directeurs et la baisse de l’euro ont soutenu les marchés. De plus, les perspectives de rebond de l’activité post-élections allemandes ainsi que l’éventualité d’une résolution (même partielle) du conflit ukrainien ont pu jouer un rôle. Enfin, les résultats des entreprises du 4e trimestre ont marqué un léger mieux, notamment dans le secteur industriel, de la communication et des bancaires. Selon nous, ces facteurs de soutien devraient perdurer, incitant de nouveaux investisseurs à revenir sur les marchés actions européens.

Marchés obligataires

A l’équilibre

États-Unis
Les taux souverains américains restent à des niveaux élevés dans un contexte de croissance solide et d’une hausse des incertitudes inflationnistes. En effet, le taux du Treasuries à 2 ans, proxy des anticipations du taux de la Fed à 1 an, est resté autour de 4,3 % depuis le début du mois de février mais aussi depuis le début d’année. Le taux du Treasuries à 10 ans est resté proche de 4,5 depuis le début du mois et sont en légère baisse depuis le début de l’année. Ces niveaux de taux sont expliqués en premier lieu par une activité qui reste très bien orientée, avec une croissance qui devrait rester au-dessus de 2 % ce premier trimestre et un marché du travail toujours robuste. En deuxième lieu, le rythme de désinflation a significativement ralenti au cours des derniers mois, avec une inflation sous-jacente qui s’est stabilisé à 3,3 % sur un an. Finalement, les anticipations d’inflation ont augmenté dans un contexte des hausses des droits douaniers et de politique migratoire très restrictive. La combinaison de ces 3 éléments a conduit la Réserve fédérale à maintenir son taux directeur à 4,5 % et nous estimons que l’institution gardera une tonalité très prudente avec dorénavant une anticipation d’une seule baisse de taux en 2025.

Zone euro
Les taux européens ont enregistré une dynamique contraire aux taux américains. En effet, le taux du Bund à 10 ans a diminué à 2,4 % depuis le début du mois de février et est en tendance baissière depuis le début de l’année. Le taux de l’OAT à 10 ans a diminué aussi à 3,1 % depuis février et est également en nette tendance baissière depuis le début de l’année avec la diminution des incertitudes politiques. Les primes de risques des économies périphériques ont continué à diminuer, avec le spread italien qui s’est comprimé à 106 pb et 61 pb en Espagne. Cette divergence avec les taux américains est expliquée par une dynamique de croissance moins dynamique, avec une activité en Allemagne qui continue de stagner et une progression modeste de l’activité en France. Seule l’Espagne affiche une croissance robuste parmi les principales économies de la zone euro. En outre, la désinflation se poursuit, avec une inflation sous-jacente déjà sous la cible de 2 % en France et en Italie, et une dynamique en ligne avec cette cible en Allemagne et en Espagne. Dans ce contexte, la BCE a poursuivi son cycle de baisse de taux, en diminuant le taux de dépôt à 2,75 % et nous nous attendons à la poursuite de la détente jusqu’au taux terminal de 2 %.

Devises

Toujours des facteurs de soutien pour le dollar

EUR/USD
L’euro est resté relativement stable face à la devise américaine. En effet, la parité EUR/USD reste autour de 1,04 dollar par euro. Cette stabilité s’explique principalement par le fait que les menaces de hausses de droits de douane par les États-Unis ne concernent pas les exportations européennes hormis l’acier. Notons que la divergence des politiques monétaires entre la BCE et la Fed est favorable pour le dollar tout comme le différentiel de croissance important et le maintien des menaces de hausses de droits de douane.

USD/JPY
Le yen a arrêté sa tendance baissière face au dollar, s’appréciant de 1,8 % pour atteindre une parité de 152 yens par dollar. À l’instar de l’euro ou du sterling, l’absence de mesures significatives à l’encontre des exportations japonaises a permis au yen de progresser face au dollar. Par ailleurs, à rebours de la BCE ou de la BoE, nous anticipons que la Banque du Japon (BoJ) poursuivra progressivement son cycle de resserrement monétaire. En effet, la BoJ a augmenté son taux directeur de 0,25 % à 0,50 % au mois de janvier dans un contexte où l’inflation totale et sous-jacente donnent des signes de stabilisation autour de la cible de 2 %. En effet, l’inflation totale a significativement augmenté à 3,7 % sur un an au mois de janvier sous la pression de la hausse des prix alimentaires. L’inflation sous-jacente est stable à 1,6 % sur un an depuis juillet 2024. Nous estimons ainsi que la BoJ devrait poursuivre son cycle de resserrement graduel des taux d’intérêt, avec un taux directeur attendu à 0,75 % en fin d’année, soutenant le yen.

EUR/CHF
Le franc suisse reste à un niveau historiquement élevé face à l’euro, avec une parité de 0,94 par euros. Tout d’abord, les incertitudes politiques en Europe bénéficieraient à la devise suisse, d’autant plus dans un environnement de risques géopolitiques importants. Par ailleurs, on anticipe que la Banque Nationale de Suisse (BNS) suive le cycle de baisse de taux de la BCE dans un contexte où l’inflation totale de janvier s’est élevée à peine à 0,4 % sur un an et l’inflation sous-jacente à 1 %, bien en dessous de la cible de la BNS. Enfin, le fort excédent courant (7 % du PIB) de la Suisse reste un soutien structurel à la devise locale.

Matières premières

Pétrole
Depuis un mois, le prix du pétrole affiche une performance nettement baissière, revenant sur ses niveaux de début d’année (75 $). L’appel du président Trump pour une baisse du prix afin de contenir l’inflation, les doutes quant au rebond de l’activité chinoise et la hausse des stocks de brut américain ont pesé sur le cours du pétrole. Après avoir continué d’augmenter, dans un contexte d’hiver froid et de stocks européens bas, le prix du gaz est revenu sur ses niveaux de début d’année grâce aux espoirs de paix en Ukraine. Les métaux industriels, dont le momentum bénéficierait du rebond récent des indicateurs du secteur manufacturier et des droits de douane sur l’acier et l’aluminium.

Or
L’or réalise un début d’année très positif et se classe parmi les actifs réalisant les meilleures performances (+10,5 % depuis fin 2024). Compte tenu des incertitudes sur la politique économique américaine et des risques géopolitiques, l’or continue d’attirer les investisseurs par son statut de valeur refuge. En outre, les achats des banques centrales des pays émergents continuent de le soutenir.

Clémentine Gallès, Chef économiste et Yvan Marmalet, Économiste et Stratégiste Société générale, 14 février 2025