EN PRIVÉ

Les marchés pris en otage par la Maison Blanche

Le calme du début d’année, avec des marchés en nette hausse en Europe et relativement stables aux États-Unis, a laissé place à un tumulte dont l’ampleur est comparable aux pires crises qu’ont connues les marchés.

L’annonce détaillée du programme de droits de douane de Donald Trump a fait plonger les marchés dans l’irrationnel. Un mouvement de vente dont l’ampleur dépasse celle du Covid, des rebonds inédits en 10 ans, un VIX qui repasse brièvement au-dessus des 60, en bref : un épisode de risk-off violent et une fuite des capitaux en dehors des États-Unis vers les actifs sûrs qui n’a pas non plus épargné les US Treasuries.

Le psychodrame autour des droits de douane, avec les annonces spectaculaires de Trump de hausse des tarifs dans un premier temps et de pause de 90 jours ensuite, prive les marchés de visibilité et maintient un risque de forte volatilité. Avec ou sans pause, Donald Trump a mis un terme au système de libre-échange globalisé tel que nous l’avons connu.

Dans ce contexte, les marchés devraient continuer d’être impactés par des effets d’annonce, des messages contradictoires et des attentes de marché changeantes ; les entreprises devraient se montrer échaudées par les décisions de Trump… et l’imprévisibilité du président américain devrait limiter les dépenses en capital et minimiser les prévisions.

Donald Trump ne reviendra pas totalement sur sa décision d’imposer des droits de douane à ses partenaires. Le changement de paradigme économique, avec un retrait constant du libre-échange vers un ordre mondial plus fragmenté et protectionniste, est acté. Le plus probable est que l’on passe d’une stratégie de tarifs réciproques spécifiques à un pays à un protectionnisme axé sur les secteurs. Par exemple, sur les semi-conducteurs, Trump pourrait utiliser la Section 232, une clause de sécurité nationale qui pourrait rendre ces droits plus durables et plus difficiles à inverser. Dans ce contexte, pour rester exposé au secteur de la Tech, il faut privilégier les entreprises ayant des chaînes d’approvisionnement résilientes, une exposition à la fabrication aux États-Unis, et des tendances structurelles comme l’infrastructure de l’IA.

Comment naviguer dans ce contexte tumultueux ? Il faut privilégier la résilience plutôt que la réaction, et cela passe par plusieurs éléments :

  • Se concentrer sur la qualité : les entreprises avec des bilans solides et un pouvoir de fixation des prix sont les mieux placées pour résister à une volatilité accrue.
  • Réfléchir de manière tactique avec les secteurs défensifs : des secteurs comme les services publics pourraient rapidement redevenir populaires si les risques de récession réapparaissent. Cependant, le secteur de la santé fait face à des risques politiques avec Trump vantant des tarifs sur les entreprises pharmaceutiques, tandis que la sélectivité pourrait être essentielle dans les produits de consommation courante en fonction de la résilience de leurs chaînes d’approvisionnement.
  • Gérer son exposition sur les produits à revenu fixe comme les obligations : garder la qualité des émetteurs sous contrôle et mesurer son risque en privilégiant des échéances courtes.
  • Rester flexible : les réactions erratiques de Trump risquent d’apporter plus de bruit que de clarté. Utiliser les replis pour rééquilibrer son portefeuille plutôt que de chercher à rattraper la performance.

Du côté des devises, nous apprécions les perspectives à long terme pour une hausse de l’EUR/USD, compte tenu des chances accrues de faiblesse économique relative aux États-Unis en raison du frein fiscal et des perturbations causées par les tarifs. Pendant ce temps, l’Europe et l’euro devraient bénéficier d’une expansion budgétaire significative en Allemagne dans les années à venir. La principale préoccupation concerne le court terme, surtout si l’UE interagit de manière « incorrecte » avec l’administration Trump sur le commerce, ce qui pourrait entraîner un cycle de représailles. Nous resterons prudemment constructifs sur la hausse de l’EUR/USD pour le moment, tant que les clôtures quotidiennes restent au-dessus de 1,0900. À noter que cette hausse de l’euro face au dollar est une bonne nouvelle pour les entreprises exportatrices américaines car elle vient contrebalancer les effets des droits de douane. Le risque est qu’une poursuite du mouvement haussier pourrait donner des idées à Trump et l’inciter à repasser sur des tarifs à 20 %.

Enfin, sur les matières premières, le grand gagnant est l’or. Le métal jaune a inscrit un nouveau record. Une combinaison de tensions économiques mondiales accrues, le risque de stagflation (combinaison de baisse de l’emploi, de croissance et d’inflation croissante) et un dollar plus faible continueront, selon nous, à soutenir l’or, et dans une certaine mesure aussi l’argent. À cela s’ajoute un marché qui se positionne maintenant agressivement pour que la Fed procède à davantage de baisses cette année (actuellement plus de 75 points de base d’assouplissement d’ici la fin de l’année) et surtout une demande continue de la part des banques centrales et des individus fortunés cherchant à réduire ou à couvrir leur exposition aux obligations du gouvernement américain et au dollar. Avec tous ces développements en tête, nous maintenons notre biais haussier sur l’or, tandis que l’argent, compte tenu de son exposition industrielle et des inquiétudes liées à la récession, pourrait avoir du mal à surpasser matériellement l’or comme nous l’avions précédemment prévu. Au lieu de cela, en se basant sur le ratio XAU/XAG revenant en dessous de 90 à partir de plus de 100 actuellement, nous voyons l’argent éventuellement atteindre 37 USD.

Une combinaison de facteurs continue d’exercer une forte pression sur les prix du pétrole, notamment la guerre commerciale mondiale en cours, qui risque de freiner la croissance économique et de réduire la demande énergétique. À cela s’ajoute la décision surprise de l’OPEP d’accélérer la production dès le mois prochain. Ce changement reflète une prise de conscience générale du marché : les prix doivent atteindre un nouvel équilibre plus bas où les producteurs aux coûts élevés seront contraints de diminuer leur production, atténuant ainsi le double défi d’une croissance de la demande ralentie et d’une augmentation de l’offre provenant des principaux membres de l’OPEP +.

La pression à la baisse est encore renforcée par une importante vente de pétrole brut par des fonds macroéconomiques qui utilisaient traditionnellement ce dernier comme couverture contre les risques de récession. Cette stratégie, habituellement axée sur le marché obligataire, est devenue inefficace en raison de la hausse des rendements actuels. Par conséquent, certains fonds ont réorienté leur attention vers des matières premières comme le pétrole.

Parallèlement à la réduction de la production des producteurs à coûts élevés, une autre source clé de soutien potentiel des prix se trouve dans le domaine géopolitique. Les sanctions et les tarifs visant des pays tels que le Venezuela, l’Iran et la Russie menacent de diminuer leur capacité de production dans les prochains mois. Cette perturbation ouvre une opportunité stratégique pour les producteurs du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) – en particulier l’Arabie saoudite – d’augmenter leur production et de renforcer leur position tant au sein de l’OPEP qu’à l’échelle mondiale.

Andréa Tueni
Head of Sales Trading – Saxo