EN PRIVÉ

À des rythmes différenciés

Si un ralentissement de l’activité mondiale reste attendu au cours des prochains trimestres, des différences se maintiendront entre les régions. Aux États-Unis, la croissance se tasserait à partir d’un niveau toujours élevé, principalement du fait d’une normalisation en cours du marché du travail. En Europe, la conjoncture apparaît plus fragile, notamment en Allemagne, du fait de la persistance de difficultés dans l’industrie, et en France, dans un contexte d’incertitudes politiques. Les économies y bénéficieraient tout de même de la détente de l’inflation et des taux d’intérêt.

Focus économique : des conjonctures différentes

Aux États-Unis, un ralentissement qui tarde à se concrétiser. La modération de l’économie américaine n’est pas encore d’actualité. Le tassement du marché du travail est bien visible, avec une légère progression du taux de chômage ces derniers mois. Pour autant, les entreprises continuent d’afficher des bilans financiers très sains, avec un endettement contenu et des liquidités disponibles, ainsi que des gains de productivité positifs. Dans ce contexte, la dégradation du marché du travail resterait modérée et progressive. En parallèle, l’inflation confirme sa détente, à 2,4 % sur un an en septembre contre 2,5 % en août. Cette détente de l’inflation dans un environnement de ralentissement seulement progressif de l’activité encouragerait la Réserve fédérale à poursuivre une baisse progressive de ses taux directeurs. Les marchés attendent 50 points de base de baisses supplémentaires d’ici la fin d’année et 100 points en 2025.

En Europe, une faiblesse qui resterait passagère. En zone euro, la conjoncture s’avère moins favorable. En Allemagne, la production industrielle reste pénalisée par des coûts toujours élevés de l’énergie, le ralentissement de la demande en provenance de Chine, la concurrence chinoise (sur le secteur automobile en particulier), tandis que la consommation des ménages reste en berne. En France, après un sursaut favorable lié aux Jeux Olympiques, les ménages et les entreprises apparaissent freinés par le contexte politique incertain. En outre, un certain durcissement de la politique budgétaire freinerait les perspectives. L’activité en zone euro pourrait ainsi connaître un coup de frein en fin d’année, mais celui-ci resterait d’ampleur et de durée limitée. En effet, tout d’abord l’Italie et l’Espagne continuent d’afficher des trajectoires plus favorables, et dans tous les cas la région bénéficierait à la fois de la détente de l’inflation (ressortie à 1,8 % sur un an en septembre après 2,2 %) et de la baisse des taux de la BCE. Les marchés tablent sur 50 points de base supplémentaires de baisses d’ici la fin d’année et 100 en 2025. La faiblesse de la conjoncture pourrait encourager la BCE à accélérer la détente de ses taux.

En Chine, l’activité apparaît toujours principalement tirée par la production industrielle et les exportations. La consommation reste morose, avec des ménages qui sont toujours affectés par les difficultés du marché immobilier. Ce contexte a encouragé les autorités chinoises à annoncer un plan de mesures d’envergure pour relancer leur économie. La banque centrale chinoise (PBOC) a tout d’abord annoncé des baisses de taux et des mesures macroprudentielles. Ensuite, la réunion du Politburo s’est concrétisée par un engagement à mettre en place « les dépenses budgétaires nécessaires ». Si les marchés financiers ont bien accueilli ces annonces, le détail des mesures et leur impact sur le temps long reste encore incertain.

Marchés actions

États-Unis
La performance du marché actions américain a été en ligne avec celle de l’indice mondial depuis le début du T3 (+ 6,2 % chacun), et ce malgré la forte baisse de l’été. Néanmoins, une rotation en termes de styles et de taille a été observée : les valeurs décotées et les petites capitalisations surperforment nettement le marché. Cet élargissement de la performance, combiné à la vigueur persistante de l’économie et aux baisses de taux de la Fed, devrait bénéficier au marché actions américain. De plus, les bénéfices des entreprises, tant au niveau macroéconomique (comptes nationaux) que microéconomique, restent bien orientés. Néanmoins, le marché américain apparaît surévalué que ce soit en termes absolu (prix/bénéfices) que relatif aux obligations d’État (prime de risque/ actions). De plus, les élections présidentielles et législatives du 5 novembre pourraient déboucher sur un contexte politique difficile et incertain, qui pourrait être source de forte volatilité.

Zone euro
Les actions européennes ont nettement sous-performé depuis le début du T3 (+1,9 %), pénalisées à la fois par les difficultés économiques (en Allemagne notamment), l’incertitude politique en France et des résultats d’entreprises en berne. Même si la croissance des bénéfices est sur une tendance baissière, le niveau des marges bénéficiaires reste historiquement élevé et leur taux de dette nette (dette moins dépôts bancaires) est revenu au niveau d’avant crise financière. Enfin, après un trou d’air de la croissance fin 2024, l’activité devrait rebondir en 2025, grâce au repli de l’inflation et aux baisses de taux directeurs.

Marchés obligataires

États-Unis
Les taux souverains américains sont sur une tendance baissière depuis le début du T3-24, avec le taux des Treasuries à 2 ans (proxy des anticipations du taux Fed funds à 1 an) finissant le trimestre à 3,6 % alors que le taux du Treasuries à 10 ans a fini à 3,8 %, pour repasser au-dessus de 4 % début octobre. La baisse depuis le début du T3 reflétait essentiellement le démarrage du cycle de baisse de taux de la Fed et les perspectives de poursuite de ce cycle de baisse de taux lors des prochaines réunions. En effet, la Fed a baissé de 50 pb son taux directeur pour le situer à 5 % dans un contexte où l’inflation continue de se rapprocher de la cible de 2 % et où le marché du travail montre des signes de ralentissement, avec un taux de chômage qui atteint 4,1 % contre 3,7 % en début d’année. Compte tenu de la poursuite de la convergence de l’inflation vers la cible et du ralentissement modérée du marché du travail, la Fed devrait continuer à baisser son taux de référence de 50 pb d’ici la fin de 2024. Si à court terme les taux pourraient continuer d’augmenter compte tenu des risques géopolitiques au Moyen-Orient et leur effet sur le prix du pétrole, le portage reste attractif en termes réels.

Zone euro
Les taux souverains de la zone euro sont aussi sur une tendance baissière. Le taux du Bund allemand à 10 ans a fini le T3-24 à 2,1 % alors que le taux de l’OAT français à 10 ans a diminué à 2,9 % – comme aux États-Unis, ils ont légèrement remonté début octobre. Les primes de risque ont aussi diminué au cours du trimestre à l’exception de la prime de risque française, qui s’est écartée à 77 points de base, sur fond des hausses des incertitudes politiques et d’une dégradation budgétaire plus forte qu’attendue. La tendance baissière des taux reflète en premier lieu la poursuite du cycle de baisse de taux de la Banque Centrale Européenne (BCE), qui a diminué à 3,5 % le taux d’intérêt de la facilité de dépôt. Nous anticipons deux baisses de 25 pb supplémentaires en 2024. En deuxième lieu, la faiblesse de l’activité européenne couplée à une désinflation plus rapide a contribué aussi à la tendance baissière des taux souverains. Si à court terme les taux peuvent évoluer au gré des variations du prix du pétrole, la faiblesse de l’activité et les baisses de taux de la BCE nous conduisent à maintenir notre exposition aux taux souverains européens.

Devises

EUR/USD
La devise européenne s’est appréciée face au dollar sur le T3-24, finissant le trimestre sur une parité de 1,12, avant de rendre une partie de ses gains en ligne avec le mouvement des rendements souverains. La tendance haussière de l’euro reflétait essentiellement le début du cycle de baisse de taux de la Fed, avec la baisse de 50 pb lors de la réunion de septembre, alors que l’autorité monétaire européenne avait une tonalité plus prudente. Cependant, la Fed devrait procéder à des baisses de taux de moindre ampleur lors des prochaines réunions compte tenu de la résilience de l’activité alors que la BCE devrait continuer son rythme de baisse de taux face à une désinflation qui se confirme et la faiblesse de l’activité.

USD/JPY
La devise japonaise continue de montrer des fortes variations haussières comme baissières. En effet, après avoir enregistré une très forte appréciation entre juillet et mi-septembre (14 %), le JPY est reparti à la baisse pour atteindre une parité de 148. Le yen reste sous pression des écarts de taux d’intérêt, avec la Banque du Japon qui devrait continuer de normaliser progressivement sa politique monétaire dans un contexte d’activité morose et d’inflation sous-jacente proche de la cible de 2 %, et une Fed qui devrait diminuer ses taux mais à un rythme plus modéré.

EUR/CHF
Le franc suisse reste sur une dynamique haussière face à l’euro, s’appréciant de près de 4 % au cours du T3-24 pour finir sur une parité de 0,93 par euro. D’une part, les incertitudes politiques en Europe devraient bénéficier à la devise suisse, d’autant plus dans un environnement de risques géopolitiques importants. D’autre part, le fort excédent courant de la Suisse devrait aussi soutenir la devise suisse.

Matières premières

Pétrole
Après avoir touché un plus bas de 3 ans à $69/b début septembre, le prix du pétrole a fortement rebondi à partir de mi-septembre, dépassant brièvement les $80/b. Cette hausse après des mois de repli trouve ses racines dans le plan de relance de la Chine (1er importateur mondial) et les craintes sur l’offre avec l’intensification des tensions au Moyen-Orient (la moitié des pays de l’OPEP sont au Moyen-Orient). La forte volatilité du prix du pétrole pourrait continuer, compte tenu de l’offre toujours abondante de pétrole d’un côté et des tensions géopolitiques de l’autre.

L’Or
Bénéficiant de son statut de valeur refuge, les incertitudes continuent de jouer un rôle clé dans l’évolution de son cours qui a de nouveau atteint un plus haut historique. Les premières baisses des taux des principales banques centrales renforcent également l’appétence pour l’Or (surtout des achats du côté des banques centrales des pays émergents).

Clémentine Gallès
Chef Economiste et Stratégiste Société Générale Private Banking, 13 octobre 2024