EN PRIVÉ

Grande distribution : s’adapter à tout prix pour rester dans la course

Les nouvelles habitudes de consommation bousculent le modèle de l’hypermarché traditionnel, poussant les enseignes du secteur à poursuivre leur mutation. En France, Carrefour peine à retrouver les faveurs des investisseurs malgré les déboires de Casino alors que l’action Walmart s’envole à Wall Street.

Jeudi 25 juillet, la publication des résultats semestriels de Carrefour n’a pas convaincu la communauté financière. En fin de séance, l’action du géant français de la grande distribution dévissait de 4,82 %. Début août, la baisse du titre ressortait à 16,4 % depuis le début de l’année (1). Une déception pour Carrefour alors que certains acteurs de la grande distribution profitent d’un regain d’intérêt de la part des investisseurs sur fond de résistance de la conjoncture et de recul de l’inflation. Ainsi, le géant britannique Tesco et le Néerlandais Ahold Delhaize affichent des hausses respectives de 16,6 % et de 14 % en 2024 (1) .

Sur les six premiers mois de l’année, le chiffre d’affaires de Carrefour est ressorti en légère baisse de 1,3 % à 44,9 milliards d’euros. Certes, le résultat opérationnel courant (ROC) a progressé, à 743 millions d’euros, contre 700 millions un an plus tôt, mais il est inférieur aux prévisions du consensus. Si l’Europe a été à la peine en raison de conditions météorologiques très défavorables, le Brésil, où le groupe français est très implanté, a bien résisté. Une rare bonne nouvelle dans le « newsflow » plutôt négatif des derniers mois. En France, un conflit oppose notamment le groupe français à certains de ses franchisés (Carrefour City, Carrefour Express etc.) qui lui reprochent des pratiques abusives. Ce combat est appuyé par Bercy qui demande une amende de 200 millions d’euros à Carrefour. Pas de quoi redorer l’image de Carrefour dont le titre reste boudé par les investisseurs.

Pour autant, le groupe coté ne reste pas l’arme au pied. Dans un contexte de concurrence acharné poussant les consommateurs à rechercher les meilleurs prix, la taille des réseaux reste un atout pour réaliser des économies d’échelle. En juillet 2023, le groupe a ainsi annoncé l’acquisition de 60 hypermarchés Cora et 115 supermarchés Match auprès du groupe belge Louis Delhaize. Une opération estimée à 1,05 milliard d’euros. Pour Carrefour, il s’agit de la plus grosse opération de croissance externe en France depuis plus de vingt ans. En début d’année, le groupe avait également annoncé la reprise de 31 supermarchés et hypermarchés du groupe Casino.

La déconfiture de Casino, groupe centenaire créé à Saint-Etienne en 1898, profite incontestablement à ses concurrents. Une affaire qui marque avant tout l’histoire de l’échec de la stratégie d’un homme, Jean-Charles Naouri, qui aura mené la barque de Casino pendant plus de trente ans, d’abord avec succès mais sans éviter la chute finale. Un itinéraire hors-normes pour ce haut-fonctionnaire réputé très doué qui avait contribué à la libéralisation des marchés financiers auprès de Pierre Bérégovoy dans la France des années 1980. Trop d’endettement et d’acrobaties financières auront eu raison du groupe multi-enseignes (Casino, Franprix, Monoprix, Cdiscount, etc.), finalement cédé, lors de l’adoption du plan de sauvegarde accéléré, le 26 février 2024, au financier tchèque Daniel Kretinsky et à Marc Ladreit de Lacharrière. Pour les actionnaires de Casino Guichard, la note est salée et l’action chute de plus de 95,7 % depuis le début de l’année (1). Ces derniers auront presque tout perdu. Pour autant, l’action Casino a fait son retour dans le SBF120, le 24 juin, après en avoir été éjectée le 15 décembre 2023.

Une déroute qui rabat les cartes au sein du monde de la grande distribution dans l’Hexagone. Un marché français estimé à 135 milliards d’euros (2)  dans lequel les grandes enseignes bien connues des consommateurs ne sont pas toutes cotées en Bourse. E. Leclerc (23,8 %), leader en parts de marché (3) , devance Carrefour (19,7 %), Les Mousquetaires (16,3 %), Système U (11,9 %) et Auchan (8,6 %). Casino n’arrive ainsi plus qu’en septième position (5,7 %) après avoir cédé près de 300 hypermarchés à Intermarché (Les Mousquetaires), Auchan et Carrefour.

Les emplacements de centre-ville convoités par les grandes enseignes

Depuis 2022, le retour de l’inflation a accentué la concurrence déjà vive entre les enseignes. Celles qui ont la taille suffisante et des centrales d’achat leur permettant de limiter les hausses de prix ont marqué des points. En outre, les acteurs plus petits mais qui ont joué la carte du discount tirent incontestablement leur épingle du jeu quand les prix augmentent sur fond de pouvoir d’achat contraint. Les succès d’Action, de Gifi ou de Primark en attestent. Ainsi, 33 % des ménages français fréquentent au moins une fois par an les magasins discounts alors que ce chiffre ne ressortait qu’à 21 % en 2021, selon le bureau d’études Kantar. De même, les consommateurs qui se rendent dans les super et hypermarchés ont tendance à privilégier les fameuses marques de distributeur (MDD), moins chères, au détriment des marques du secteur agroalimentaire.

Si les supermarchés classiques n’ont pas dit leur dernier mot, ils doivent donc continuer d’adapter leur offre et leur format à l’évolution de leur clientèle sous peine de décliner irrémédiablement. Le format de l’hypermarché immense, auquel on accède uniquement en voiture, de préférence le week-end, perd du terrain face à la superette de centre-ville plus adaptée aux modes de vie contemporains. Désormais, les consommateurs privilégient les courses près de leur domicile, plusieurs jours par semaine et parfois tard le soir pour les populations urbaines plus jeunes. Les emplacements disponibles au pied des immeubles sont ainsi devenus très prisés par les grandes enseignes.

Autre tendance en vogue, la livraison à domicile continue de gagner du terrain. Chez Carrefour par exemple, les ventes de e-commerce ont progressé de 30 % au premier semestre 2024 (par rapport au S1 2023). Dans ce contexte, tous les distributeurs revoient leur offre pour s’adapter aux nouvelles exigences de la clientèle. Certains consommateurs achètent en magasin et choisissent la livraison à domicile, d’autres préfèrent le 100 % magasin ou la commande en ligne. Au final, le modèle qui fonctionne doit ainsi combiner le magasin physique et le digital (modèle « phygital »).

Amazon rêve de rattraper Walmart

Aux États-Unis, le géant Walmart doit faire face à la montée en puissance d’Amazon dans la livraison de produits alimentaires. Ce dernier fait ainsi feu de tout bois pour accumuler de nouveaux entrepôts, dont certains peuvent faire jusqu’à 10 000 mètres carrés. En se rapprochant toujours plus du consommateur américain, le géant du commerce en ligne fondé par Jeff Bezos veut ainsi baisser le coût de l’acheminement des produits, nerf de la guerre pour livrer le client à domicile et gagner des parts de marché. Le nombre de commandes livrées le jour même ne cesse ainsi d’augmenter chaque année.

Quant à Walmart, l’enseigne dispose d’un réseau unique de plus de 4 600 supermarchés sur le territoire américain qui lui permet de traiter efficacement les commandes passées par internet. Ainsi, 90 % des ménages américains vivraient à moins de 15 kilomètres d’un magasin Walmart. Mi-mai, le numéro un mondial du secteur a relevé à la hausse ses prévisions pour l’ensemble de l’année, anticipant désormais un bénéfice opérationnel en augmentation de 4 à 6 %. Le dernier chiffre d’affaires trimestriel est ressorti en hausse de 6 % à 161,5 milliards de dollars. Un dynamisme soutenu notamment par la bonne tenue de Marketplace, sa plateforme de commerce sur internet.

En Bourse, l’action Walmart est particulièrement recherchée par les investisseurs cette année, profitant des bons résultats du groupe et de la résistance de l’économie américaine. Elle s’envole ainsi de 30,6 % depuis le début de l’année (1) . De son côté, Amazon a franchi, fin juin, la barre symbolique des 2 000 milliards de dollars de capitalisation boursière et gagne 21,5 % en 2024 (1) .

Julien Gautier
Responsable éditorial – Agence Fargo, 1er août 2024

1. Chiffres Boursorama, arrêtés au 1er août 2024 en clôture
2. Institut NielsenIQ, chiffres 2023
3. Institut Kantar, chiffres arrêtés au 18 février 2024