EN PRIVÉ
Secteur du luxe : un millésime 2024 au goût amer
Le luxe n’est plus à la fête en Bourse. La forte baisse de la demande chinoise a érodé les résultats des grandes maisons et refroidi l’enthousiasme des investisseurs. Dans un secteur largement mondialisé, les défis à relever sont nombreux (nouvelles habitudes de consommation, protectionnisme, etc.) pour LVMH et ses concurrents qui ne manquent pas d’atouts pour rebondir.
Une année à oublier… Si les marques de luxe françaises continuent de briller dans le monde entier, de symboliser le chic hexagonal et un certain art de vivre, l’exercice 2024 qui s’achève* n’est globalement pas un grand cru en Bourse pour les valeurs du secteur. L’action LVMH ne nous avait pas habitué à pareille contre-performance. Au 13 décembre, elle affichait une baisse de 13 % depuis le début de l’année. Le titre Kering chute quant à lui de 39 % tandis que L’Oréal (la division L’Oréal Luxe représente environ un tiers du chiffre d’affaires du groupe) abandonne 24 %. Seul le titre Hermès continue d’enregistrer une progression insolente de son cours en 2024 (+18,5 %) grâce à son positionnement ultra-premium. Quant au groupe suisse Richemont, propriétaire de Cartier, il gagne 18 % depuis début janvier. Concernant les multiples de valorisation (Price earning ratio), LVMH se négocie à 23 fois ses bénéfices 2024, contre 20 fois pour Kering et Richemont et 28 fois pour L’Oréal. Mais relevons surtout le PER de Hermès qui se paye 53 fois ses bénéfices estimés pour 2024 !
Le ralentissement de la demande en Chine et l’atonie de la croissance en Europe dans une moindre mesure ont porté un coup sévère aux groupes de luxe qui sortent d’une période de croissance exceptionnelle. Selon une étude du cabinet Bain & Company et de la fondation Altagamma consacrée aux produits de luxe, le secteur traverse ainsi en 2024 « son deuxième plus grand ralentissement de l’histoire » après la crise financière de 2008, à l’exception de la période pandémique. La fête et les frénésies d’achats de produits de luxe post-Covid 19 ont été de courte durée et le ralentissement en Asie impacte tout particulièrement les dépenses non essentielles, dites discrétionnaires.
L’exception Hermès
En 2024, les ventes de produits de luxe devraient ainsi reculer dans une fourchette de 1 à 3 % dans un marché global évalué à près de 1 500 milliards d’euros. Le point noir est évidemment la Chine où la chute pourrait atteindre 20 à 22 % cette année. Un retournement spectaculaire qui se reflète dans les résultats des grands groupes cotés. LVMH a enregistré au troisième trimestre une baisse de 4,4 % de son chiffre d’affaires à 19 milliards d’euros. Au premier semestre, le numéro un mondial du luxe avait pourtant limité le recul de ses ventes à 1 % à 41,68 milliards d’euros malgré un contexte économique et géopolitique déjà incertain. L’activité Vins & Spiritueux avait pourtant accusé le coup (-12 %) mais la résistance des autres pôles du groupe (les ventes de Parfums & Cosmétiques et la Distribution sélective ont même cru de 3 % sur les six premiers mois de l’année) avait permis de limiter le tassement global de l’activité.
Chez Kering, l’année boursière calamiteuse reflète des chiffres de vente en berne. Au troisième trimestre, la baisse du chiffre d’affaires culmine à 15 % à 3,79 milliards d’euros, après un recul de 11 % au premier semestre (-20 % pour Gucci, la marque emblématique du groupe dirigé par François-Henri Pinault). Seul Hermès continue à tirer son épingle du jeu avec des ventes en hausse de 10 % au T3, à 3,7 milliards d’euros. Au premier semestre, la croissance de l’activité avait atteint 12 %, à 7,5 milliards d’euros.
Comment s’annonce 2025 ? Le secteur affiche un potentiel de croissance de 0 à 4 % à taux de change constants, porté par la reprise des ventes en Europe et en Amérique alors que la demande chinoise en produits de luxe devrait rester atone. Les promesses de baisses d’impôt de la future administration Trump et la poursuite de la baisse des taux d’intérêt par la Fed (et aussi par la BCE en Europe, même si la conjoncture y est moins dynamique) pourraient inciter les consommateurs à dépenser un peu plus en produits de luxe. En outre, le Japon connaît une embellie de sa demande intérieure, soutenue par la hausse des salaires et la bonne performance des marchés actions. La dévaluation du yen a également fait affluer les touristes chinois au pays du Soleil levant (+230 % entre janvier et septembre 2024) et les ventes des maisons françaises de luxe ont bondi dans l’Archipel nippon au cours du premier semestre.
Les grands acteurs de l’industrie du luxe regarderont toutefois d’un œil inquiet l’accentuation probable des tensions commerciales dans le monde après la prise de fonction de Donald Trump, le 20 janvier. Les fabricants français et italiens appréhendent le retour des barrières douanières sur le marché américain. Une difficulté de plus alors que la relation commerciale entre l’Union européenne et la Chine n’est déjà pas au beau fixe. Les fabricants de vins et spiritueux sont tout particulièrement dans le collimateur des pouvoirs publics de l’Empire du Milieu.
Le cognac dans le collimateur des autorités chinoises
En réplique à la décision de Bruxelles d’imposer des droits de douane sur les importations de véhicules électriques en provenance de Chine, le ministère du commerce chinois a en effet pris des mesures de rétorsion, début octobre, visant les fabricants d’eau-de-vie de vins européens (« brandy » en anglais). Ces derniers sont désormais obligés de déposer une caution en douane pour suspicion de dumping alors qu’une enquête chinoise est en cours. Une mauvaise nouvelle pour les producteurs de cognac français qui sont les principaux visés dans cette affaire alors que la Chine représente 30 % du marché mondial du cognac. Ce retour des tensions commerciales avec Pékin pèse ainsi comme une épée de Damoclès au-dessus des fabricants de spiritueux Pernod Ricard (Martell) ou Rémy Cointreau (Rémy Martin) dont les titres ont fortement baissé à l’annonce des mesures de rétorsion.
Le cognac fait partie intégrante de l’univers du luxe et l’action LVMH (Hennessy, le H de LVMH) a été aussi impactée par ce regain de tension très préjudiciable. Ce retour du protectionnisme ne devrait pas arranger, quoi qu’il en soit, les affaires des marques de luxe européennes qui seront en première ligne en cas d’aggravation de la guerre commerciale.
Au-delà des difficultés liées aux contentieux entre grandes puissances et aux trous d’air de la conjoncture, le ralentissement observé cette année oblige les grandes maisons à repenser leur offre et leur stratégie marketing pour fidéliser de nouveaux consommateurs dans une optique de long terme. L’enjeu est notamment de séduire les jeunes générations (Y et Z) au pouvoir d’achat plus limité et développant d’autres aspirations moins tournées vers la possession de produits de marques, fussent-elles iconiques, mais davantage en attente d’expériences immatérielles (hôtellerie, restauration, etc.).
Le potentiel de croissance des marques de luxe reste toutefois important alors que les nouvelles classes moyennes-supérieures des marchés émergents ciblées par ces marques de luxe devraient progresser de 50 millions de personnes d’ici à 2030. Le secteur du luxe demeure enfin le seul grand secteur d’activité où des entreprises françaises peuvent s’enorgueillir de truster les meilleures places.
En 2020, le bureau de recherche AlphaValue avait ainsi inventé l’acronyme KHOL rassemblant les valeurs vedettes du monde du luxe pour Kering, Hermès, L’Oréal et LVMH. Si les Américains ont les GAFAM, les investisseurs français peuvent être fiers de leurs KHOL ! Et Bernard Arnault, élu le 2 décembre à l’Académie des sciences morales et politiques, reste à 75 ans le patron, leader mondial incontesté du luxe (LVMH) : un empire de 75 marques qui a fait de lui l’une des toutes premières fortunes mondiales, sinon la première.
Julien Gautier
Responsable éditorial – Agence Fargo-Sachinka, 16/12/2024
* Cours Boursorama, 13 décembre 2024 en clôture