L’ANALYSE
Tempête parfaite
Dans un environnement économique où les prix évoluaient peu et où le loyer de l’argent était si faible que tout était finançable, les projets de production d’énergie renouvelable ont bénéficié d’un terreau favorable. Le retour de l’inflation et des taux élevés a changé la donne : même des champions se retrouvent dans une situation délicate. Le secteur éolien concentre une partie des problèmes, aussi bien du côté des fabricants de turbines que des exploitants de parcs. Les déboires de Vestas et Siemens font partie des feuilletons de l’année. Même le bon élève, Orsted, est sur la sellette depuis quelques semaines. À tel point que le compartiment européen des énergies renouvelables est sans doute le pire investissement de l’année 2023 en bourse.
Comment peut-on expliquer qu’une industrie au cœur des enjeux de l’époque et censée drainer des capitaux considérables avec son petit drapeau vert se retrouve dans une telle situation ? Les causes sont nombreuses, aussi vais-je me concentrer sur les principales. En premier lieu, le secteur a connu une spectaculaire inflation de coûts, aussi bien sur les matières premières que sur le transport ou la construction. Il est, comme il se doit, confronté à une féroce concurrence asiatique, qui produit nettement moins cher avec des niveaux de qualité qui s’améliorent rapidement. De surcroît, les projets sont de plus en plus complexes à monter avec des vents contraires – il fallait le placer – qui vont crescendo. Je veux parler là des contraintes administratives et urbanistiques, mais aussi de la sécurisation de contrats d’approvisionnement à long terme pour assurer la viabilité de l’opération. Pour ne rien arranger, les acteurs du secteur, fabricants ou exploitants, portent généralement de lourdes dettes. Les premiers à cause de la forte intensité capitalistique de leur industrie, les seconds parce qu’ils investissent lourdement à l’origine et remboursent l’investissement sur le long terme grâce à la production d’énergie générée. On comprend dès lors que des taux d’intérêts élevés changent la donne. Par conséquent, les acteurs de la filière se tournent vers les pouvoirs publics. Ce sont déjà eux qui garantissaient l’équilibre économique du secteur, en sponsorisant fiscalement son développement et l’amélioration de l’empreinte carbone du parc de production. Mais avec le bouleversement des conditions de financement, les acteurs demandent plus. Orsted, par exemple, a lourdement déprécié ses projets nord-américains. En l’état actuel des choses, le groupe ne sait pas s’il a un intérêt économique à se lancer. Il a donc sollicité la Maison Blanche pour renforcer le dispositif de soutien. C’est à ce moment-là que l’environnemental, l’économique et le politique se télescopent. Et c’est là que naît un nouveau risque : les énergies renouvelables ne sont pas très populaires dans un contexte où les prix flambent. Que se passera-t-il si des gouvernements populistes, notoirement sceptiques à l’égard du secteur, accèdent au pouvoir ? Ce risque, en plus de tous les autres, rend malheureusement le secteur difficilement fréquentable à court terme.
Patrick Rejaunier
© 2023 zonebourse.com, 21 septembre 2023